Une dizaine de classes de primaire de la région nantaise ont pris le pouvoir ! Lors de ce projet porté par Stereolux, espace dédié aux musiques actuelles et aux arts numériques à Nantes, les enfants ont eu carte blanche pour inventer un tout nouveau pays. Ils ont dû penser sa géographie, ses infrastructures, son organisation, ses devoirs et ses droits. Un challenge lancé et supervisé par Coline Pierré. Autrice et illustratrice, elle écrit des romans, des albums et des nouvelles pour les enfants et les adolescents. Elle revient dans cette interview sur une année riche en échanges, en créations et en débats.
Vous avez échangé via la plateforme CCN tout au long de l’année et vous avez aussi rencontré les classes. Comment cela s’est déroulé ?
Dans les CCN que j’ai faites, la transmission des consignes et les réponses par le biais de la plateforme marche plutôt bien. Concernant les rencontres, ça permet pour eux, comme pour moi de mettre des visages sur le travail de chacun. On a discuté de mon métier et des consignes. Souvent, ils me posent des questions sur les raisons de ce sujet-là, sur ce qu’on leur propose. On a discuté ensemble de la consigne à laquelle ils étaient en train de répondre, ça m’a permis de voir où ils en étaient. Ils m’ont raconté la réflexion qui était en cours et puis on a avancé ensemble, donc c’était très riche.
Vous leur avez proposé d’inventer un pays, quel était l’objectif de ce projet ?
L’objectif, c’était de les faire réfléchir à ce qu’est une société et à ce qu’est la démocratie. Ils devaient d’abord choisir le lieu, créer l’infrastructure de leur pays et ensuite réfléchir aux règles : qu’est-ce qu’il faut mettre en place pour vivre ensemble, se mettre d’accord, qui commande, qui dirige, quelles sont les lois, quels sont les droits et les obligations. Point par point, ils ont précisé de plus en plus leur société.
Est-ce qu’il y avait des points communs entre les différents projets des classes ?
Oui, ils ont tous fait des démocraties, ce qui n’était pas obligatoire. Et plus généralement, tous, sauf une classe, ont fait des pays dirigés de manière participative. Des pays avec un pouvoir tournant, où chacun est un élu à tour de rôle ; ou bien avec un certain nombre de représentants, mais qui changent régulièrement. Ils ont tous fait en sorte qu’il ne puisse pas y avoir quelqu’un qui s’accapare le pouvoir et qui mette en place une dictature. J’ai trouvé cela super intéressant. L’écologie était également une thématique qui revenait beaucoup. À chaque fois, c’était des pays dans lesquels on s’efforce de ne pas utiliser d’énergies non renouvelables. Ils y ont mis tout l’imaginaire qu’ils pouvaient, parce qu’ils n’étaient pas tenus d’être réalistes. Par rapport à l’argent, soit c’était des sociétés sans argent, avec du troc ou des bons. Soit, leur société était toujours très équitable, sans possibilité d’en avoir plus que les autres ou d’accumuler des richesses. Ils réfléchissaient vraiment à toutes ces questions-là de manière assez pointue.
Est-ce-que vous avez des exemples de réalisations d’élèves qui vous ont marquée ?
D’un point de vue plastique, il y avait un pays dans les arbres qui était très beau. Ils avaient construit des cabanes, c’était très ingénieux et c’était vraiment une belle construction. Il y avait aussi une scénette qu’une classe avait filmé pour être diffusée lors de la restitution. Elle était vraiment très intéressante, ils avaient joué une scène où ils posaient un questionnaire et ils vérifiaient que les gens sont éligibles à l’entrée dans leur pays. C’est une super vidéo.
Un pays dans les arbres, par les CM1 de l’école Marcel Pagnol – Geneston.
Comment les élèves ont accueilli ce projet ?
J’ai l’impression que le projet leur a plus, ils s’y sont prêtés volontiers et ça les a fait traiter de sujets auxquels ils n’ont pas forcément beaucoup de temps à consacrer en classe. Il y avait un côté participatif, ils devaient créer ensemble, avec toute la classe et donc discuter, se mettre d’accord, voter, faire des choix… D’après les retours que j’ai eu des enseignants, c’était toujours des moments de discussion et de débat très vivants dans la classe.
Quels débats a suscité ce projet au sein des classes ?
Je me souviens d’une classe où tout tournait autour des bonbons. Il y avait des bonbons qui rendent heureux et des bonbons qui permettent de soigner les émotions. Ils n’avaient droit qu’à un certain nombre de bonbons. On avait commencé à réfléchir, à ce qu’il se passerait s’il y avait du tourisme de bonbons par exemple. Si des gens venaient dans leur pays pour avoir ces bonbons-là. Quels droits auraient-ils ? Pourrait-il y avoir des abus ? C’était une grande métaphore qui était assez intéressante et drôle.
La liste des bonbons à humeur de la classe de CM1 de l’école Jean Jaurès à Nantes.
Le magasin de bonbons de l’école Jean Jaurès à Nantes.
Vous aviez travaillé l’année précédente sur une CCN avec des collégiens. Était-ce différent de travailler avec des classes de primaire ?
Oui, parce que dans la CCN collégiens j’avais essayé de fournir plus de ressources pour qu’ils comprennent un peu mieux ce qu’ils étaient en train de faire d’un point de vue artistique. Car c’était autour de l’opéra, de la musique et de la poésie. Il y avait aussi de la mise en voix et des partitions graphiques. A chaque fois, ils abordaient des genres artistiques qui mélangeaient différentes disciplines, donc j’essayais de leur donner un peu de matière. Ce que j’ai moins fait avec les plus petits. Je pense qu’ils s’emparent de ce genre de projets avec le même enthousiasme au collège qu’en primaire.
Comment s’est déroulé le spectacle de fin d’année sur la scène nationale Stereolux ?
C’était chouette ! Il y avait des classes qui étaient très préparées, d’autres moins. Certaines ont joué des scénettes assez élaborées, d’autres ont projeté des choses, il y avait aussi des présentations. Globalement les classes sont hyper bienveillantes, très intimidées d’être là mais aussi très contentes de faire cette expérience.
A noter : Stereolux reconduit l’expérience des Classes Culturelles Numériques avec les primaires l’année prochaine. Le projet sera cette fois porté par l’illustratrice Margaux Othats.