La Scène nationale Lux, à Valence, s’est lancée dans la conception de projets Classes Culturelles Numériques (CCN) en 2015. Camille Chignier, coordinatrice du Pôle régional d’éducation aux images, déploie le dispositif à l’échelle du département de la Drôme. Elle partage son expérience forte de quatre années de mise en place de projets CCN.
CCN : Pourquoi avoir choisi de monter des projets Classes Culturelles Numériques ?
Camille Chignier : C’est Catherine Rossi-Batôt, la directrice de la Scène nationale, qui a mis en place les projets CCN avec le département de la Drôme avant mon arrivée. Il y avait à la fois une volonté et une demande du département de faire des projets d’éducation artistique et culturelle qui bénéficieraient à des publics éloignés, isolés de la culture et de l’offre culturelle. L’idée, avec les CCN, c’était donc de faire tomber les barrières géographiques en nourrissant une présence artistique sur du long terme, hors agglomérations.
Depuis que nous avons commencé, plus d’une dizaine d’artistes sont intervenus pour animer nos projets CCN. Cette année, 700 élèves ont participé, répartis entre 28 classes, 20 établissements et 16 communes. L’année prochaine, pour la rentrée 2021, nous sommes en train de mettre en place deux projets qui réuniront chacun 250 élèves.
Comment se construit un projet CCN ?
Les projet de CCN sont co-conçus avec le Service culture du département de la Drôme, qui les finance avec la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC).
Pour un projet de CCN qui démarre en septembre, nous prenons contact avec les artistes dès janvier ou février. Nous les choisissons en fonction du programme de LUX. Nous réfléchissons à ce qui serait adapté à un travail collaboratif en collège, avec des thématiques qui parlent aux adolescents. Une fois que nous avons expliqué le dispositif aux artistes, ceux qui sont intéressés doivent nous remettre une note d’intention fin février.
En mars, le guide des actions éducatives, dans lequel figurent les notes d’intention des artistes, est publié par le Département et envoyé aux collèges de la Drôme par son Service éducation. Ces derniers peuvent s’inscrire au projet de leur choix par le biais d’un formulaire. En général, les inscriptions se font en avril-mai. De juin à juillet, nous demandons aux artistes de rédiger les scénarios qu’ils vont faire parvenir aux classes via la plateforme numérique et qui vont permettre aux élèves d’avancer sur le futur projet en classe. En septembre, a lieu la journée de lancement du projet durant laquelle les enseignants participants découvrent les consignes et peuvent donner leur avis sur leur faisabilité et le temps attribué à chacune d’elles.
Comment choisissez-vous les thématiques sur lesquelles porteront les projets ?
Ce sont des thématiques fortes. Nous essayons toujours d’inclure une part assez ludique, avec un univers artistique fort. L’idée est de véhiculer des courants artistiques, des courants de pensées et, en même temps, de travailler sur des thèmes qui sont propres aux questionnements de l’adolescence mais aussi au contenu des programmes de collège (autoportrait, écologie, citoyenneté, etc.). Il faut que les élèves puissent se saisir du sujet.
Par exemple, nous avons travaillé deux années consécutives avec les archives Albert Kahn. Nous avions imposé une consigne qui incitait les élèves à puiser dans les archives. Ces archives datent du début du XXe siècle et regroupent des documents de pays très éloignés. Nous avons pu soulever à la fois les questions de conservation du patrimoine et amener les élèves à détourner les images, ce qui donnait des travaux très drôles, proches de la science-fiction.
Quelle est la singularité des projets CCN dans un programme de médiation culturelle ?
C’est l’écrivain Franck Prévot, l’un des premiers artistes avec qui nous avons travaillé sur les CCN, qui a mis en lumière une spécificité des projets : la place de l’enseignant au sein du projet et sa relation avec les élèves. Quand la consigne arrive dans la classe, tout le monde se demande comment y répondre. L’enseignant n’est pas en retrait comme dans un atelier in situ où un intervenant prend en main la classe. Il est partie prenante autant que les élèves. Il doit aussi réfléchir et concevoir pour guider les élèves dans la mise en œuvre de leurs réalisations. C’est un peu déstabilisant pour eux, mais dans le bon sens, parce que ça déplace la relation qu’ils entretiennent avec les élèves : ils créent avec eux, ils sont plus dans l’échange. C’est une façon de travailler ensemble, de collaborer, qui diffère des autres projets culturels. Je trouve ça très intéressant.
Quels sont les impacts d’un projet CCN ?
Les retours des professeurs sont élogieux. Les élèves fantasment plein de choses sur les artistes puisqu’ils ne les rencontrent pas tout de suite. Quelque chose de très fort se crée dans leur imaginaire, une attente se crée aussi. Je me souviens de quelques-uns, pourtant très discrets et timides depuis le début de l’année selon leurs professeurs, qui disaient à l’artiste “moi, j’ai envie de faire votre métier plus tard”, à la grande surprise des enseignants ! Dans ces projets collaboratifs, chacun met sa pierre à l’édifice. Les élèves voient leur travail valorisé sur la plateforme. Au final, tout le monde finit par trouver sa place.
Franck Prévot avait aussi montré qu’un projet CCN pouvait sortir du seul cadre scolaire, en incluant un EHPAD dans son projet d’écriture ! Il avait monté toute une enquête dans laquelle chaque classe représentait un personnage. L’EHPAD avait participé et les élèves avaient dû interviewer les pensionnaires. Ce projet intergénérationnel avait bien fonctionné, ça montre que l’impact social d’un projet peut être fort.
Quels conseils pourriez-vous donner à des institutions qui souhaiteraient débuter avec le dispositif CCN ?
Chez LUX, nous avons travaillé plusieurs fois avec un photographe. Nous savons que le travail avec un photographe est plus facile, parce qu’on est dans l’image, que la plateforme a un rendu esthétique superbe avec les photos et que les jeunes aiment ça. La prise en main est plus facile à la fois par les enseignants et les élèves. Quand on parle de photos, les élèves sont assez sûrs d’eux, ils ont l’impression de bien connaître. Mais en fait, ils ont tendance à beaucoup centrer les choses, à faire des photos très symétriques et droites. Nous parvenons finalement à les déstabiliser parce que le photographe va les questionner sur leur façon de faire et leur montrer de nouvelles manières de cadrer. Il suffit au photographe de quelques bons conseils pour donner des photos qui sont vraiment belles et je trouve que la plateforme s’y prête très bien. Les projets de photographie sont toujours très beaux.
Quelles sont les plus grosses difficultés que vous avez rencontrées avec le dispositif et comment les avez-vous surmontées ?
Je dirais que ce qui est le plus difficile, c’est d’incarner un projet en n’étant pas là. C’est de faire sentir aux élèves comme aux professeurs qu’ils font partie d’un projet culturel à grande échelle, c’est-à-dire à l’échelle du département. Il faut leur rappeler qu’il y a quelqu’un derrière qui suit, qui est attentif et qui regarde leurs productions sur la plateforme.
Quels sont les projets de la rentrée 2021 ?
Pour la prochaine rentrée, nous essayons d’expérimenter quelque chose de nouveau avec du théâtre d’ombres et une marionnettiste, Aurélie Morin, de la Compagnie Théâtre de Nuit. Les élèves devront découper des marionnettes, les façonner et monter un petit film en jouant avec des effets d’ombres et de lumières.
Le second projet sera mené par un chorégraphe, Denis Plassard, de la Compagnie Propos, qui guidera les élèves sur la réalisation d’un roman-photo filmé. Il y aura un travail d’écriture et un travail autour des images, de la gestuelle et de la posture, ce qui va permettre à des professeurs d’EPS de participer. Denis Plassard donnera un spectacle à LUX. Il s’agit d’un spectacle burlesque autour de la langue des signes et de la communication auquel les élèves pourront assister. L’idée, c’est aussi de créer un parcours de diffusion culturelle avec des temps de rencontres directement à LUX, autour d’un spectacle ou d’une exposition. Les CCN permettent aux élèves d’avoir un pied dans un lieu culturel où ils n’ont justement pas l’habitude d’aller.
On va voir ce que ces projets vont donner. Nous essayons toujours d’expérimenter, d’aller au-delà de notre zone de confort pour faire des choses différentes d’une année à l’autre.